Discours de Jean-Christophe Lagarde

Versailles, le 9 juillet 2018

| Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président du Congrès, Monsieur le président du Sénat, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et messieurs les Ministres, Chers collègues parlementaires,
C’est donc la seconde fois depuis son élection que le Président de la République convoque le Parlement en Congrès. Si cet évènement qu’il veut rendre traditionnel suscite à nouveau la polémique depuis plusieurs jours, c’est sans doute du au fait qu’il n’y a que dix ans que la Constitution en offre la possibilité et que l’exercice peine encore à trouver sa place dans la geste Républicaine. C’est si vrai que finalement, l’écho médiatique qui en parvient aux français fait bien plus de place à ceux qui décident de le boycotter qu’à ceux qui choisissent de s’y exprimer. Et je sais de quoi je parle. Mais puisque le Chef de l’Etat veut en faire un rendez-vous récurent, tâchons qu’il soit un moment solennel qui nous oblige à la responsabilité et à prendre de la hauteur.
Avant tout, je tiens à exprimer notre regret de ne pouvoir répondre directement au Président de la République en sa présence. Nous défendrons d’ailleurs un amendement au projet de loi constitutionnelle pour lui permettre de rester dans cet hémicycle après s’être adressé à la représentation nationale, et de nous répondre s’il le souhaite. Sinon, le lieu, Versailles, la pompe et le protocole font trop penser à une monarchie républicaine, dont certes nos concitoyens raffolent, mais qui nous éloigne d’une démocratie moderne et vivante.
En attendant, c’est à vous Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, et à l’ensemble de la majorité parlementaire que nous nous adresserons en dressant le bilan de cette première année et que nous vous ferons part de nos préoccupations pour celles à venir.
Car même si nous n’appartenons pas à votre majorité, nous souhaitons sincèrement votre réussite puisqu’elle suppose celle de la France. C’est pourquoi la ligne directrice du groupe UDI-Agir et Indépendants est d’être capable de vous soutenir lorsque vous êtes sur la bonne voie et de s’opposer lorsque vous déraillez. A nos yeux, après le tremblement de terre politique de 2017, c’est ainsi que nous pouvons être utiles à notre pays et respecter la volonté des français de voir les responsables politiques changer d’attitude, en finir avec des affrontements stériles et des oppositions feintes. En somme, nous pensons que les français attendent de nous de jouer la politique en vrai, de juger votre action au cas par cas, comme ils le font eux-mêmes chaque jour.
Nous savons bien que cela n’entre pas dans les cases convenues du business médiatique pour lequel chacun est censé jouer un rôle convenu d’avance de soutien aveugle ou d’opposant à tout. Mais peu nous importe, pour nous le débat démocratique doit avoir pour but d’élever le degré de conscience civique des citoyens pas de répondre aux objurgations des réseaux sociaux, ni aux injonctions d’une information si permanente qu’elle confond l’accessoire élevé au rang d’évènement et l’essentiel ravalé au niveau de l’anecdote.
Les clivages d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui tant les effets de la mondialisation les ont bouleversés.
Désormais notre débat politique nous partage en deux. D’un côté, il y a ceux qui voient avec effroi le monde nouveau, le vrai, où la globalisation rend tous les pays chaque jour plus dépendants les uns des autres, ce qui réduit inexorablement nos marges de manœuvre nationales. Ceux là veulent faire croire que notre pays serait plus fort en se refermant sur lui-même, en se recroquevillant sur son passé, en s’isolant du mouvement général de la planète avec l’illusion de s’en protéger. De l’autre côté, et c’est un point qui nous est commun, il y a ceux qui comme nous comprennent que face à cette évolution du monde, il nous faut choisir de transformer profondément notre organisation économique et sociale mais aussi politique, afin de conserver suffisamment de forces pour demeurer libres de nos choix et de nos modes de vie.
C’est à travers ce prisme que nous pourrions souscrire aux nombreuses déclarations du Président de la République qui prônent la transformation et l’émancipation.
Sur le plan international, tout d’abord, nous saluons toute l’énergie déployée par l’exécutif pour rendre à la France sa place et son rôle dans ce monde devenu multipolaire où s’affrontent quelques grandes puissances continentales au détriment de tous les autres petits États. C’est là que réside le défi majeur qu’est l’Europe, le seul échelon qui, à condition qu’il se fédère, est en mesure de défendre efficacement les intérêts nationaux des pays qui la composent pour peser face aux grands pays du monde et même face à ces énormes multinationales nées des nouvelles technologies et dont la puissance dépasse celle de nombreux Etats. Une Europe plus fédérée est notre seule chance de peser dans les relations internationales pour y protéger nos modes de vie, notre vision de l’organisation sociale.
Aussi, si nous soutenons l’engagement pro-européen du Président de la République nous vous invitons à aller plus loin en proposant de fédérer au niveau européen des compétences pour lesquelles les politiques nationales montrent leur inefficacité, tels que la protection de nos frontières, l’immigration, nos stratégies industrielles et de recherche, la lutte contre le terrorisme et les grands trafics, notre défense qui doit devenir moins dépendante des USA, la transformation énergétique qui pourrait accroître notre indépendance collective ou encore au développement de l’Afrique dont nous sommes les seuls voisins. Les prochaines élections européennes seront à cet égard une occasion unique pour nos concitoyens de dire s’ils veulent faire de l’Europe un véritable bouclier face aux dangers et aux enjeux du monde.
En politique intérieure, les sujets sont nombreux et complexes, et le temps de parole imparti aux représentants des groupes parlementaires ne nous permet malheureusement pas de tous les aborder.
En résumant je dirais que s’achève une première période enchaînant des réformes nécessaires, utiles et trop longtemps reportées, telles que la refonte du code du travail, la baisse de l’impôt sur les sociétés et la baisse des charges sociales, le prélèvement unique et forfaitaire sur les revenus du capital, l’amputation d’un ISF contre productif, la transformation de la SNCF, la reconfiguration de l’enseignement primaire, la tentative déterminée de réduction de notre déficit irresponsable. Dans cette première période, nous avons pourtant déploré l’inéquité engendrée par la hausse de la CSG, car il n’y a pas de raison que seuls les retraités financent la compétitivité de notre pays.
Ces réformes ont une logique qui est de libérer les capacités de production de notre pays, de leur redonner de la compétitivité pour créer de l’emploi. Nous partageons cette logique, résumée dans l’expression des « premiers de cordée » chère au Chef de l’Etat. Mais nous vous répétons ici que pour que les français puissent adopter cette logique, il vous appartient de garantir à chacun que les premiers de cordées soient utiles à l’ensemble de la cordée. C’est la condition de leur légitimité, et de la légitimité de votre politique.
Je n’adhère pas aux caricatures qui peuvent être faites à ce sujet, mais il faut se rendre à l’évidence. A ce stade les effets de votre politique se font en faveur de certains dans l’ignorance des autres. Les plus favorisés le sont davantage encore, ce qui pourrait être acceptable à la condition que tous nos concitoyens soient également gagnants. Loin de là, les plus démunis le restent et les classes moyennes sont délaissées. Au 1er tour de la présidentielle, vous avez été élus par la France mondialisée, celle qui se sort bien des changements du monde et sait en tirer profit, celle qui au fond n’a pas besoin de la politique et qui n’attend d’elle que de ne pas être entravée. Mais je vous alerte. Cette France est minoritaire. Et c’est parce que votre politique donne l’impression de ne servir que cette France là qu’en un an les français sont passés de l’espoir au doute. Quels que soient ses talents et sa détermination,aucun chef de l’État n’est en capacité de créer une véritable communauté de destin dès lors que ceux qui vivent dans les banlieues et les territoires ruraux ne peuvent prétendre au même avenir que ceux qui ont les moyens de vivre au cœur des métropoles.
Il existe dans nos banlieues et en ruralité une autre France, plus nombreuse mais surtout qui a vraiment besoin de politiques publiques pour espérer avoir droit à l’égalité des chances. C’est cette France là qui est venu vous confier les clefs du pays au second tour de l’élection présidentielle, car elle voulait encore croire en la République et sa promesse de récompense du mérite plutôt que des situations acquises. C’est cette France là à qui, devant la pyramide du Louvre, le tout nouveau chef de l’Etat a promis de tenir compte. C’est cette France là qui ne voit rien venir et qui s’impatiente en voyant monter les difficultés de la désertification médicale, d’un système hospitalier à bout de souffle, de l’insécurité qui continue de croître, des services publics qui s’éloignent, des transports déficients… C’est cette France là qui si rien ne change pour elle, pourrait faire défaut au second de tour d’une prochaine élection présidentielle. Cette France là, fragile et fatiguée n’attends pas de plan pauvreté, elle veut qu’on lui garantisse l’égalité des chances.
Les fractures sont multiples, se croisent, s’accumulent et s’accentuent. Évidemment, ce n’est pas vous qui avez causé ces fractures, mais toutes peuvent être atténuées, si ce n’est résorbées, par la volonté des pouvoirs publics.
Et nous regrettons les mauvais signaux envoyés aux banlieues par le refus de construire de nouvelles politiques publiques permettant de rétablir l’égalité républicaine dans ces quartiers concentrant toutes les pauvretés et où les moyens alloués par l’Etat restent inférieurs à ceux attribués aux quartiers plus favorisés. C’est aussi un mauvais signal au monde rural que le retard pris pour mettre en place l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires que nous vous proposions dés l’automne dernier, alors que le monde rural désespère d’être entendu du pouvoir.
A ces territoires nous vous appelons à redonner des perspectives par des politiques publiques ambitieuses qui garantissent leur place dans la République. C’est ce que nous attendons avant tout de la seconde période qui s’ouvre dans votre mandat. Sinon ce discours sur l’émancipation restera une théorie creuse pour une majorité de français.
Nous attendons aussi que vous ouvriez peut être moins de chantiers mais qu’ils soient conduits à leur terme et donnent réellement lieu à des changements structurels et équilibrés. Le projet de loi EGALIM ne garantit pas le rééquilibrage entre agriculteurs et grandes surfaces, la réforme des APL ne s’est jusqu’alors traduite que par l’appauvrissement des bailleurs sociaux, et le projet sur la formation professionnelle mériterait de mieux équilibrer les responsabilités entre le patronat et les régions Et parfois, les décisions tardent, ainsi on les attend sur le Grand Paris depuis Novembre dernier, la suppression de la Taxe d’Habitation devrait entraîner une réforme de la Taxe Foncière, la protection contre la dépendance ne semble pas en perspective.
Pourtant, pour tenter d’aller vite, vous vous êtes affranchis des partenaires qui nous semblent indispensables pour véritablement transformer notre pays. Sous couvert de consultations prétendument citoyennes, dépourvues in fine de toute influence, vous avez mené une politique trop souvent solitaire. Là guette le pire risque de toute majorité, surtout quand elle est absolue, celui de n’écouter qu’elle, de s’enfermer dans sa logique au lieu d’entendre les différences pour mieux entraîner le pays vers sa transformation, celui finalement de prendre toute réflexion, interrogation, alerte ou proposition pour une critique, au lieu d’en faire son miel et de corriger la trajectoire pour mieux réussir.Dans trop de cas, vous décidez depuis Paris, depuis les ministères, sans considération des corps intermédiaires, du tissu associatif, des élus locaux, ni des parlementaires que pourtant, le président de la République vient de nous dire vouloir associer à son action.
Tous, pourtant, vous sont indispensables pour faire réussir la France. Écoutez-les, entendez-nous car, au fond, nous servons tous le même idéal et nous avons chacun notre part à apporter à cette ambition collective. Celle qui doit permettre à l’ensemble de nos concitoyens de s’épanouir et de s’émanciper, quels que soient leur position initiale dans le système social et leur lieu de vie. Celle qui doit permettre à la France de peser dans l’Europe, et à l’Europe de peser dans le monde, forts de notre histoire et de nos valeurs.
Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, ce serait là votre plus grande réussite, la seule qui compte.

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