INTERVIEW – Jean-Christophe Lagarde analyse la nouvelle donne politique de la rentrée.
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Quelques semaines après l’affaire Benalla, votre regard sur Emmanuel Macron a-t-il changé ?
Jean-Christophe Lagarde. Non, car l’affaire Benalla n’est pas symptomatique de la macronie, mais de la Ve République. Depuis 1958, nous sommes malheureusement la seule « démocratie » [les guillemets sont de Jean-Christophe Lagarde] qui considère que quelqu’un qui travaille auprès du chef de l’Etat peut tout se permettre. Ce qui explique que rien n’a arrêté Alexandre Benalla, c’est que toute la haute administration a considéré qu’il était au-dessus des lois puisqu’il travaillait à l’Elysée. La promesse du « nouveau monde » d’Emmanuel Macron est morte avec l’affaire Benalla.
Emmanuel Macron est-il politiquement affaibli ?
La majorité a passé un été très difficile, dont on retient deux événements : l’affaire Benalla et l’arrêt de la réforme constitutionnelle. Emmanuel Macron bénéficiait de l’élan de l’élection présidentielle. C’est fini, il n’a plus de dynamique. Sa priorité doit être d’en retrouver une ! Dès lors, deux questions se posent à lui : comment rendre à nouveau crédible sa promesse de gouverner autrement ? Le gouvernement reprend-il le chemin des réformes ? Les deux questions sont liées puisqu’Emmanuel Macron n’aura pas les moyens d’engager ses réformes sans retrouver la crédibilité d’un pouvoir différent, plus transparent et démocratique.
Quels actes attendez-vous précisément ?
Emmanuel Macron avait commencé à s’attaquer à l’organisation des pouvoirs. Mais marginalement. Réformer le Conseil supérieur de la magistrature, mettre fin à la présence des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel, supprimer la Cour de justice de la République, c’est bien. Mais tout cela n’est en rien majeur. La réforme constitutionnelle de Macron était très en-deçà de celle de Nicolas Sarkozy, en 2008, qui avait créé des droits pour l’opposition, le Parlement et les citoyens. Il faut aller plus loin dans la démocratisation des institutions en renforçant les pouvoirs de contrôle et d’enquête du Parlement.
Allons-nous rester le seul pays occidental où le Parlement, et tout particulièrement l’opposition, n’ont pas le droit d’enquêter autant qu’ils le veulent sur tous les sujets, y compris lorsqu’une enquête judiciaire est en cours ? Aux Etats-Unis, des gens aussi puissants que le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, viennent devant la commission d’enquête du Congrès en tremblant. Moi, je veux bien croire qu’Emmanuel Macron a été abusé par un collaborateur, mais la meilleure démonstration de sa bonne foi, c’est de faire en sorte que ça ne puisse pas se reproduire. Il ne s’agit pas de réorganiser les services de l’Elysée, mais d’assurer la transparence et le contrôle du pouvoir exécutif. Le président Macron prend-il la mesure de cela ? Si oui, sa promesse de gouverner différemment redevient crédible. Si non, cet aveuglement paralysera la dynamique de ses réformes, qui ont besoin d’un cap et d’un agenda.
Quel serait ce cap ?
Le président Macron explique aux Français la nécessité de miser sur les premiers de cordée ; tout le monde peut partager ça. On a en effet besoin que quelqu’un tire la cordée. Mais attention, pour escalader la montagne, on ne peut pas laisser le dernier de cordée en tongs et en short, sinon il va crever de froid. Et, avant même de monter, il le sait et se révolte. Emmanuel Macron doit montrer que sa politique s’adresse à tous les Français, y compris à ceux qui sont en short et en tongs.
Ce qui me frappe avec le recul estival, c’est que la politique d’Emmanuel Macron sert le plus ceux qui sont déjà les gagnants de la mondialisation et ceux, souvent les mêmes, qui vivent dans les centres des grandes métropoles françaises. Ceux qui ont raté leur formation initiale, ceux qui vivent dans les banlieues ou dans le monde rural sont-ils pris en compte dans le projet d’Emmanuel Macron ? A sa place, mon obsession serait de faire en sorte que la locomotive accélère sans qu’aucun wagon ne décroche.
Par exemple, à l’UDI, nous proposons depuis plus d’un an une grande agence nationale de la cohésion des territoires. Comme au temps de la planification, il faut montrer qu’il y a une politique déterminée pour que tout le monde ait accès aux transports, à la téléphonie mobile, à l’Internet à haut débit, à des formations d’excellence, à un réseau médical …
Emmanuel Macron a-t-il conscience des faiblesses de sa politique telle qu’elle est perçue par les Français ?
Je pense qu’il en a conscience, mais qu’il ne s’est pas donné les moyens de les dépasser. Une première année de mandat est difficile. C’est en même temps l’apprentissage du pouvoir, la formation d’une équipe, l’arrivée d’une majorité dont on a vu, à l’occasion de l’affaire Benalla, les fragilités en termes de ressources politiques…
Vous êtes très critique. Finie la bienveillance vis-à-vis du président ?
Rien n’a changé. Nous restons à la fois totalement libres de montrer les manques, mais bienveillants. Si Emmanuel Macron se plante, c’est toute la France qui souffrira et nous subirons des aventures politiques extrêmes, dont les plus fragiles souffriront les premiers. Donc je continue à souhaiter sa réussite, mais je suis libre de dire : « Attention, là, vous oubliez des choses. » Le président Macron a fait un nombre de réformes tout à fait remarquables que les trente dernières années de la vie politique française n’avaient pas permis de réaliser, comme la réforme du Code du travail ou de la SNCF. Mais il faut qu’il démontre que son pouvoir est vraiment différent de celui des autres et qu’il est au service de tout le monde.
Comment cela se traduira-t-il lors des prochaines échéances électorales ? Allez-vous faire liste commune avec LREM aux européennes ?
Il est trop tôt pour se poser la question d’une alliance. Nous trancherons en décembre ou janvier. Rassembler ceux qui refusent la destruction de l’Europe est-il le meilleur service à rendre à la cause européenne ? Si l’on partage un même projet, peut-être. Sinon, ça ne marche pas. Aujourd’hui, je vois plutôt le pouvoir comme trop enclin à accepter des règles d’échanges économiques et commerciaux qui ne sont pas justes. Pour l’UDI, l’Europe doit servir une « démondialisation », c’est-à-dire, non pas la fin des échanges, mais la mise en place de relations équitables à l’intérieur de l’UE comme à l’extérieur.
Nous devons réformer l’Europe de l’intérieur : actuellement, elle organise une compétition déloyale entre ses membres alors qu’elle n’a pas été faite pour cela. Ensuite, il faut fédérer l’Europe face aux grandes puissances mondiales pour reconquérir notre indépendance sur un certain nombre de sujets, comme la souveraineté industrielle ou technologique, mais aussi pour le contrôle des frontières et de l’immigration, la création d’un parquet et d’une police fédérale qui combattent le terrorisme et la grande délinquance internationale… Il faut tourner la page des années Barroso [président de la Commission européenne de 2004 à 2014] qui ont été celles du culte de l’ultra-libéralisme.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]