Le cri du coeur pour les libertés locales d’Olivier Richefou

 

 Alexandre IMPERIALE :

 Olivier Richefou, vous êtes Président du département de la Mayenne. Nous sommes très heureux de vous recevoir.

 

Olivier RICHEFOU :  Moi aussi, je suis enchanté de représenter  le plus beau département de France.

 

 Alexandre IMPERIALE:

 Olivier Richefou, vous avez envoyé un courrier au Président de la République dans lequel vous lui demandez « de laisser faire les départements. » Et plus généralement, de rappeler l’Etat à son rôle de stratège, à même de fixer les grandes orientations et de vous laisser faire vous pour le reste. Vous voulez que l’Etat laisse faire les collectivités et plus particulièrement les départements.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le sens de ce courrier et de votre démarche?

 

Olivier RICHEFOU :

 Oui, bien sûr.

 Alors, j’ai fait ce courrier parce que nous traversons un moment dans lequel nous gérons des crises d’exaspération, la lourdeur administrative et le poids de la technocratie. Ce courrier, c’est un cri du cœur. C’est le cri d’un président de département qui veut mettre en place des dispositifs et qui se heurte à une lourdeur terrible.

Bien évidemment, je ne suis pas le seul président de département à agir au quotidien, on le fait tous.

Les maires, on le sait, le font tous aussi bien évidemment, à leur niveau, et j’espère qu’il sortira de cette crise de la reconnaissance de la part du président de la République. Il l’a exprimé pour les maires, pas vraiment pour les Présidents de départements.

Je me souviens avoir, comme tous les présidents, participé à ce déjeuner pendant le moment de la crise des gilets jaunes où je n’ai pas eu le sentiment qu’il avait une très grande image des départements donc j’espère que ça changera.

 

 Alexandre IMPERIALE :

Avec la déclaration du premier ministre hier, on a vu toute l’importance des collectivités durant cette crise.

On a vu aussi que vous avez une « agilité » que l’Etat n’a pas. Vous l’avez montré en Mayenne en étant le premier département à commander des masques pour tous les habitants. Vous êtes des acteurs de votre territoire et avez agis là où l’Etat n’a pas su le faire.

 Jean-Christophe Lagarde a répété d’ailleurs à l’Assemblée, que l’Etat commandait des masques pour les soignants. Mais qu’en est-il pour le grand public ?

Les collectivités sont les seules à commander des masques pour le grand public.

Pouvez-vous aussi nous parler de votre démarche quant à la commande de masques pour les Mayennais ?

 

Olivier RICHEFOU :

Bien sûr, c’est à l’exemple de ce que j’indiquais tout à l’heure. Cette idée a germé un week-end. J’ai pris immédiatement contact avec un chef d’entreprise, un dimanche après-midi. Quand on est dans un milieu rural en circuit court, on est capable de se connecter très rapidement.

Et puis, on a validé tout de suite une commande. J’avais su pendant le week end, qu’il avait eu un tissu agréé le vendredi par la Direction générale de l’armement. Moi, je souhaitais absolument le masque soit crée à partir d’un tissu agrée par la DGA.

Dès le lundi, j’ai évoqué avec le préfet une commande d’un peu plus d’un million d’euros et que si je voulais respecter le Code des marchés publics, j’allais attendre. Même en utilisant une procédure dite d’urgence, j’allais attendre 15 jours.

Sauf qu’au bout de quinze jours les espaces disponibles, notamment chez les couturières, dans les ateliers de confection s’ammenuisent. Et donc, j’ai dû expliquer au préfet qu’il y avait un article du Code des marchés qui parlait d’urgence impérieuse et qui prévoyait de se passer de passer de l’appel d’offres.

Alors, il ne m’a pas donné son feu vert. Je lui ai alors répondu « Monsieur le préfet je n’ai pas besoin de votre feu vert, moi, j’utilise cet article. »

Cet article est prévu pour la santé animale, mais il n’est pas prévu pour la santé humaine !  Comment on peut imaginer un sujet comme ça? J’ai passé la commande et puis le préfet ensuite m’a fait comprendre qu’il m’alertait, etc. Etc. Mais ça se ferait quand même. Voilà comment l’histoire des masques est partie.

Très tôt, j’avais pu prendre des positions dans des ateliers de confection de mon département et d’un département limitrophe.

Sur 300.000 masques, 150.000 sont déjà livrés aujourd’hui. Ils sont mis sous sachets plastiques par une entreprise de la Mayenne et seront distribués par plusieurs milliers de bénévoles, appuyés par des élus locaux, le 8 mai.

J’ai choisi le 8 mai car je trouvais que c’était symbolique. C’est un jour férié. Les habitants seront chez eux. Nous leur donnerons deux masques, que nous poserons au pied de leur porte ou de leur boîte aux lettres. C’est aussi la fête de la liberté, en quelques sortes. Voilà pour cette opération concernant les masques.

 Et si j’avais écouté le préfet, je ne l’aurais jamais fait.

 

Alexandre IMPERIALE :

 Vous avez démontré à travers les masques que les collectivités sont souvent beaucoup plus agiles, sont beaucoup plus à même de répondre aux réalités du terrain, là où l’Etat central, finalement, est un peu ralenti par sa lourdeur administrative et ses procédures.

 

Olivier RICHEFOU :

Je vous donne un deuxième exemple qui n’est pas sur les masques.

On voit bien aujourd’hui que le plus important pour nous tous, aujourd’hui, ce sont les masques et les tests.

 Pour les départements, ça se sait très peu, mais on a des laboratoires départementaux d’analyse VETERINAIRES. Il y en a 72, je crois en France. Il se trouve que la directrice de mon département est aussi la présidente nationale des directeurs. Elle, est assez investie. Tous les présidents de départements ont dit rapidement «  Nous sommes capables de faire des tests PCR ». Les tests PCR sont ceux que l’ont fait sur les animaux. Il se trouve que l’on peut aussi les faire sur des humains. Ce sont les mêmes machines, les mêmes réactifs.

Et donc on a demandé à ce que nos laboratoires départementaux soient agréés. Il a fallu que Gérard Larcher, vétérinaire, en parle directement au président de la République pour que quinze jours plus tard, enfin, un décret soit pris pour que nos laboratoires soient agréés pour faire des tests PCR.

Dans un département comme le mien, le laboratoire va faire presque les trois quarts des tests possibles en raison de notre capacité. Sauf qu’une fois qu’on est agréé, il faut des réactifs. Et pour les réactifs vétérinaires, ceux qui nous livrent ne pouvaient pas le faire sans un accord du ministère de la recherche.

Et c’est hier que ma directrice, en tant que présidente nationale, a reçu un courrier d’Olivier Véran qui va pouvoir permettre de débloquer des réactifs chez les fournisseurs de réactifs vétérinaires.

 Il aura fallu un mois pour faire ce qui aurait pu se faire en 24 ou 48 heures si on nous avait laissé la main. Et on aurait déjà pu multiplier en France le nombre de tests PCR. Voilà la stricte vérité. Voilà un exemple autre de cette lourdeur administrative technocratique insupportable.

 

Alexandre IMPERIALE :

 Cette lourdeur administrative fait aussi perdre énormément de temps dans la stratégie de déconfinement. Parce que quand on a un problème local, que l’on doit le faire remonter jusqu’au Président du Sénat pour que le gouvernement débloque la situation. C’est ubuesque et je pense les citoyens ont beaucoup de mal à comprendre.

Mais dans votre lettre, vous parlez aussi « d’empêchement d’agir directement au plus près des entreprises. » Vous dites que vous avez les moyens financiers d’agir, de soutenir certaines filières, mais qu’on vous empêche de le faire.

 

Olivier RICHEFOU :

Oui, on a une loi NOTRE qui n’est pas la nôtre, comme on le dit souvent avec un peu d’humour. Elle a été votée sous le gouvernement précédent et réserve aux régions les actions économiques.

Nous, les départements, demandons depuis longtemps à pouvoir distribuer, dans certaines circonstances, des aides économiques. Un texte récent l’a prévu en cas de crises liée à des catastrophes naturelles mais pas de crise sanitaire.

Donc aujourd’hui, dans mon modeste département de 300.000 habitants j’ai souhaité mettre en œuvre une politique pour accompagner les intercommunalités qui voudraient mettre en place des aides directes aux entreprises. D’abord, les intercommunalités ne peuvent pas le faire en direct. Il faut l’accord de la région. Il  a fallu négocier avec la région une convention pour que les EPCI puissent y être autorisés.

Mais moi, je ne le suis toujours pas, donc je ne peux même pas accompagner les EPCI pour donner des aides à des commerçants, des artisans qui sont dans la difficulté alors que j’avais prévu y consacrer 2 à 3 millions d’euros.

Ce n’est pourtant pas une somme gigantesque au regard du budget de 350 millions d’euros dont dispose la Mayenne. Quand il y a le feu quelque part dans une Eglise, on ne fait pas la différence entre le pompier habillé en rouge et celui habillé en jaune! 

On a tous besoin de se mobiliser dans des moments de crise ! Et on ne veut pas nous laisser faire. C’est ubuesque.

Nos structures nationales font pression auprès du gouvernement, mais ça n’avance pas parce qu’il y a des gens qui pensent qu’il faut rester dans la situation rigide que l’on connaît aujourd’hui.

On perd du temps et on a des entreprises qui, pour cette raison-là, vont sans doute disparaître. Le dispositif mis en place par l’Etat est très bien. Les régions l’ont mis en place.

Mais, ce sont souvent des aides sous forme de prêts, et il faudra les rembourser.

Donc, il y a besoin, un moment donné, d’avoir des aides directes non remboursables pour que l’entreprise puisse continuer à fonctionner et redémarrer dans de bonnes conditions.

Laissez-nous faire ! Nous sommes des gens responsables et ne sommes jamais en déficit comme peut-être l’Etat ! Nous équilibrons nos budgets et le contrôle de légalité est là pour surveiller les grandes orientations.

Vous le voyez bien à travers le ton que j’emploie et la conviction que je mets dans mes propos, c’est un cri du cœur. C’est un déchirement que de ne pas avoir de liberté de manœuvre.

Alexandre IMPERIALE :

Le département, c’est aussi un maillon intermédiaire entre de très grosses intercommunalités – ou même des intercommunalités de taille plus modeste – et les régions qui sont des superstructures et qui parfois, sont très loin des réalités du terrain.

On voit ici toute l’importance du département. Vous l’avez aussi montré en mobilisant tous les pompiers de la Mayenne. Ces derniers se rendent dans des EPHAD.

Vous avez su mobiliser tous les acteurs de votre territoire. On sent bien qu’il manque cette reconnaissance du plus haut niveau de l’État pour que les départements puissent aussi s’inscrire pleinement dans les prérogatives qui sont les leurs.

 

Olivier RICHEFOU :

Je vous donne un autre exemple de système ubuesque.

 Vous évoquiez à l’instant les pompiers que j’ai mobilisés pour aller porter dans les EHPAD le gel hydroalcoolique qui manquait et que l’Agence de Santé ne pouvait pas fournir.

Nous avons aussi acheté des masques chirurgicaux que nous avons distribué aux services d’aides à domicile. L’ARS distribue aussi des masques de son côté. Je leur ai donc dis que mon service en partenariat avec la Croix-Rouge, la protection civile et les pompiers pouvait aussi distribuer leurs masques. L’ARS m’a dit non ! «  Non, nous nous distribuons nos masques dans les points de contact que nous avons identifié » ce sont les hôpitaux locaux.

Donc, mon circuit va amener le gel hydroalcoolique dans les EHPAD et le personnel doit prendre sa voiture pour aller à l’hopital local chercher les masques…

Voilà la situation ubuesque dans laquelle nous vivons !

Donc j’espère qu’il y aura un RETEX ( Retour sur Expérience) de cette crise pour qu’on puisse vraiment donner la main aux élus locaux sur des décisions comme celle que je viens de vous décrire, qui ne sont pas stratégiques. Que l’Etat reste dans sa stratégie, qu’il s’occupe des hôpitaux, ça me va très bien.

Moi, département, je n’ai pas compétence à m’occuper d’un hôpital. Mais sur les EHPAD, nous devons avoir davantage la main. L’exemple que je viens de vous donner est caricatural mais réel. Pour livrer des équipements, il y a deux circuits de distribution. On marche sur la tête.

 

Alexandre IMPERIALE :

Peut-être une dernière question plus en lien avec le plan de déconfinement. En tant que département, vous avez la compétence des collèges. Est-ce que vous avez une vue un peu plus précise de ce qui va se passer en Mayenne pour les collèges dont vous avez la responsabilité ?

Vous avez commencé à préparer ce déconfinement ou pas encore ?

 

Olivier RICHEFOU :

Alors, on a commencé à imaginer différentes stratégies. C’est un peu plus clair depuis hier. On sait aussi qu’il n’y a que les sixièmes et les cinquièmes qui vont rentrer d’ici la fin mai, ce qui simplifie grandement les choses puisque c’est la moitié des effectifs environ qui vont entrer.

On voit bien que la dimension des collèges va le permettre. Le sujet délicat est celui de la restauration.

J’ai échangé comme toutes les semaines avec mes collègues des départements du Pays de la Loire. Entre nous, on voit bien que certains vont essayer de prévoir des déjeuners en salle de classe. D’autres vont prévoir des horaires différenciés dans les self. Le fait que seulement deux niveaux rentreront le 18 mai, nous laisse plus de temps pour nous organiser.

Je ne suis pas inquiet, et encore une fois, laissez-nous faire ! Nous savons faire et nous sommes capables de gérer cette situation-là. Notre personnel mobilisé est admirable.

 

 Alexandre IMPERIALE:

Merci, c’était très intéressant. Nous reviendrons probablement vers vous d’ici la fin du confinement pour suivre l’évolution de la situation au niveau du conseil départemental et comment les mesures de l’Etat sont appliquées sur le terrain par les élus. Vous faîtes un travail remarquable.

 

 

 

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