Discours d’Hervé Marseille
Versailles, le 9 juillet 2018
| Seul le prononcé fait foi
Le quinquennat qui s’est ouvert l’année dernière ressemble aux planisphères du XVIIIème siècle. Sur ces cartes du monde, que chacun a en tête, on voit les contours des continents. Mais à l’intérieur, tout est quasiment terra incognita.
Le pourtour des continents, c’est le programme du candidat Emmanuel Macron. Un an seulement après son élection, ce programme a largement commencé à être mis en œuvre. C’est la première chose que nous pouvons portons au crédit du Président : il tient ses promesses.
La deuxième chose que nous mettons à son crédit est la nature même des promesses tenues. Depuis un an, des réformes importantes et longtemps reportées ont été engagées. Nous les avons soutenues. Tel est le cas des ordonnances qui ont assoupli le code du travail pour donner aux entreprises les marges de manœuvre dont elles ont aujourd’hui besoin.
De même, nous avons voté la réforme de l’accès à l’université car sur ce sujet le Gouvernement ne s’est pas borné à prendre des mesures techniques. Il a eu l’audace de poser les jalons d’un changement plus profond.
Enfin, le nouveau pacte ferroviaire constitue aussi une réforme substantielle. Il fallait transposer les directives européennes d’ouverture du rail à la concurrence. Mais avec le Sénat nous sommes allés plus loin : nous avons concilié l’efficience économique avec l’aménagement du territoire et l’adaptation des acquis sociaux.
Un an après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, il y a donc un bilan. Pouvions-nous en dire autant à la fin du quinquennat précédent ?
Par-delà même le bilan législatif du chef de l’Etat, il y a un troisième élément que nous mettons à son crédit. Avec lui, nous avons gagné en incarnation internationale. La France retrouve une place. Elle suscite de nouveau l’écoute et le respect de nos partenaires étrangers ainsi que l’intérêt et la confiance des investisseurs. Et l’embellie de la conjoncture économique nous permet enfin de rentrer dans les critères budgétaires européens. Le quinquennat a donc plutôt bien commencé.
Néanmoins, les signes de l’essoufflement prématuré du quinquennat sont trop nombreux pour être passés par pertes et profits.
Nous partageons la volonté du Gouvernement d’améliorer les conditions des plus démunis en luttant d’abord contre le chômage. Oui, on ne réduira la précarité et les inégalités qu’en relançant l’économie, en augmentant le taux d’emploi et en améliorant l’efficacité du système éducatif. Mais cette stratégie a des limites.
La restriction du périmètre de l’ISF, l’instauration de la « flat tax », la suppression de « l’exit tax », la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation de la CSG sur les retraites, la baisse des aides au logement sont autant de mesures qui nourrissent l’inquiétude sociale.
Mais la critique n’est pas que sociale, elle est aussi territoriale.
Après la baisse des dotations, la suppression de la taxe d’habitation et de 120 000 contrats aidés, la fermeture de classes de primaire dans les campagnes, la limitation de la circulation à 80km/h, sans parler des craintes qui subsistent sur le maintien des petites lignes ferroviaires… c’est peu de dire que les territoires ruraux se sentent les victimes de ce début de quinquennat.
Au terme de la révision constitutionnelle, même leur représentation sera minorée. Ici, près de 280 sièges auront disparu.
Même d’un point de vue législatif, la dérive est perceptible. Après les textes intéressants que j’ai mentionnés, nous arrivent les propositions de loi creuses de type « Fake news » ou téléphone portable à l’école ou encore les annonces décevantes et retardées sur l’audiovisuel.
Faut-il s’étonner de cet essoufflement ? Non parce que la machine est en surchauffe car le Gouvernement s’est attaqué à trop de sujets simultanément.
Mais aussi parce que tout semble remonter au sommet de l’Etat. Or, quand tout remonte, il y a thrombose. C’est d’ailleurs la seule ligne de force qui se dégage de l’ensemble de l’action gouvernementale, celle du renforcement de la verticalité. Quand on remet en cause le paritarisme, quand on restreint les moyens des collectivités locales et quand on minore la représentation parlementaire, que fait-on, si ce n’est recentraliser le pouvoir? Le fait que demain, après la réforme constitutionnelle, il y aura plus de membres du corps préfectoral que de parlementaires, donc plus de représentants de l’Etat que d’élus, devrait tout de même nous interpeller… Et si l’action gouvernementale marque le pas, c’est sans doute aussi parce que les français ne discernent plus les objectifs à atteindre. Il faut aussi une vision, une ambition. Pour l’instant, elles nous semblent faire défaut.
Ainsi, en matière d’éducation, sujet fondamental s’il en est, surtout lorsque l’on parle de s’attaquer aux racines de la pauvreté, le projet gouvernemental se dessine : donner à chacun les mêmes chances au départ, c’est-à-dire en maternelle et en primaire, pour pouvoir orienter et sélectionner dans le supérieur.
Mais ailleurs, où est le cap ? Vendre la France à Versailles et Davos ne fait pas une politique économique, privatiser ADP ne fait pas une politique industrielle, supprimer la taxe d’habitation ne fait pas une politique fiscale, et bénéficier de la croissance ne fait pas une politique de redressement des comptes publics. Sur ce dernier point, quelle est la ligne budgétaire de l’exécutif ?
Visiblement pas celle de la maîtrise des dépenses puisqu’elles augmentent. On ne parle plus de la dette. Elle n’a pourtant pas disparu. Elle est toujours là. Elle limite toujours nos marges de manœuvre et obère la crédibilité de l’action publique.
Il n’y a pas qu’en matière économique et budgétaire que nous sommes dans le flou. Sur des sujets aussi importants que la sécurité, la laïcité, le communautarisme, la décentralisation, la réforme de l’Etat, la copie de l’exécutif demeure malheureusement encore vierge. Ce qui fragilise encore une peu plus l’autorité de l’Etat à l’heure où le moral de la police est en berne et où la menace terroriste est plus que jamais latente.
Le projet de réforme constitutionnelle est emblématique de ce pragmatisme sans hauteur de vue. Réduire le nombre de parlementaires n’est pas une fin en soi. L’important c’est qu’ils aient demain plus de moyens de contrôle. Raccourcir de quelques jours un des segments de la fabrique de la loi est une bonne chose si, derrière, le rythme de publication des décrets d’application suit.
La bonne nouvelle, c’est que la vision qui fait défaut à l’action gouvernementale peut venir du Parlement. L’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas vocation à être des chambres d’enregistrement.
Elles sont là pour inspirer, accompagner et contrôler l’action de l’exécutif.
C’est la carte que nous jouerons lors de la prochaine discussion des textes constitutionnels. Dès lors que nos propositions sont conciliables avec son ambition, nous faisons le pari que le Gouvernement est ouvert à la discussion.
Nos lignes directrices sont simples :
- respect des droits du Parlement et des équilibres institutionnels, si nécessaires dans une Europe où les populismes progressent ;
- respect de la représentation des territoires si malmenés ;
- respect de la primauté de la volonté du politique sur le Gouvernement des Juges : on ne peut envisager que demain toute action publique soit soumise au bon vouloir de Juges chargés de hiérarchiser entre les multiples incantations imprécises de notre texte fondateur.
Sans le Parlement, nous ne réformerons pas la France pas plus que nous ne relancerons l’Europe. J’en terminerai là-dessus.
Plus que jamais, compte-tenu de la situation allemande, le sort de l’Union dépend de celui de la France. Ce quinquennat est peut-être celui de la dernière chance, à la fois pour notre pays et pour l’UE. Tout laisse à penser que, si nous échouons aujourd’hui, la France pourrait demain connaître le sort de l’Italie. Et l’Europe voler en éclat. Depuis le traité de Rome, jamais la construction européenne n’a été autant menacée. La pérennité même de l’Europe post-brexit est remise en cause par la montée des peurs identitaires. Réussir signifie donc aussi faire sortir l’Europe de l’impasse.
La crise européenne, qui se confond maintenant avec celle des migrants, est aigüe.
Mais, comme par le passé, nous ne la surmonterons qu’en faisant des propositions audacieuses.
Le Président Emmanuel Macron a fait campagne sur le thème de « l’Europe qui protège ». La formule nous convient.
Une Europe qui protège, c’est une Europe qui coordonne ses politiques migratoires. A ce titre, même si l’accord du 29 juin est encore un compromis fragile et flou, il est encourageant. Il prouve que l’Europe a encore de la ressource. Mais il en faudra plus pour qu’elle devienne « l’Europe qui protège ».
Une Europe qui protège, c’est aussi une Europe dotée d’un modèle assumé, d’un budget accru, d’une fiscalité harmonisée et d’une armée qui lui soient propres. Cette Europe que Simone Veil appelait de ses vœux. Un bel hommage lui a été rendu au Panthéon. Mais pour vraiment honorer sa mémoire, ensemble, relançons la construction européenne.
Nous sentons que les Français sont aujourd’hui indécis. Ils sont ouverts à l’action mais demandent à comprendre son sens.
Face à cette terra incognita, ils ont besoin de volonté et en même temps d’un objectif. Sans cap, Ulysse risque de faire un long voyage. Donnons-lui une boussole.
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