La seule consigne, pas de consigne !
Jean-François Vigier, Maire de Bures-sur-Yvette et Président du groupe UDI à la Régional d’Île-de-France
Mais de quoi s’agit-il ? Des entreprises que l’on nomme les « metteurs en marché » (Pepsi, Danone, Nestlé, etc.) se verraient bien mettre en place un système de consigne sur les bouteilles plastiques. Celles-ci s’appuient sur les objectifs fixés par la loi AGEC d’atteindre un taux de recyclage des emballages plastiques de 77% en 2025 et de 90% en 2029. Dans le système actuel géré par les collectivités locales, nous étions à 61% en 2021. Pour autant, l’objectif fixé par le législateur est-il hors de portée pour le service public du tri ? La situation est-elle suffisamment grave et désespérée pour que l’on révolutionne un système qui a fait ses preuves ?
La réponse est non pour deux raisons essentielles :
- Le principe de « l’extension des consignes de tri » qui consiste à faire trier par l’usager tous les emballages en plastique n’est devenu obligatoire sur le territoire national qu’au 1er janvier 2023. De nombreuses collectivités le mettent donc juste en place avec une marge de progression importante dans la captation des bouteilles plastiques.
- La progression du taux de recyclage était de 3% par an entre 2019 et 2021 (source Ademe). En partant de 61% en 2021, on parviendrait au moins à 85% en 2029, vraisemblablement plus du fait du développement de l’extension du tri depuis cette année. Nous allons donc très certainement atteindre les objectifs fixés par la loi.
Mais allons plus loin et examinons quelles seraient les conséquences de la mise en place de ce qu’on appelle complaisamment la consigne.
Ce dispositif aboutirait à une régression sur le plan environnemental
Quand on dit consigne, on pense immédiatement à la consigne du verre de nos grands-parents : les bouteilles récupérées étaient réutilisées en l’état sans transformation. C’est ce que l’on appelle le réemploi, vertueux écologiquement.
Dans le projet du gouvernement, les bouteilles plastiques ne sont pas réemployées, mais simplement recyclées, comme le font les collectivités locales depuis des années dans le cadre d’un service public de tri et de recyclage qui fonctionne.
Quel intérêt alors de changer de système pour faire la même chose avec des moyens différents ? Ce que l’on peut appeler dès lors une fausse consigne créera un double système de collecte et de tri : la consigne des bouteilles plastiques en plus du service public de gestion des déchets.
Par ailleurs, deux objectifs de la loi AGEC sont en totale contradiction : celui des taux de recyclage à atteindre vient se heurter à celui de diviser par deux la quantité de bouteilles plastiques à horizon 2030. Or la fausse consigne va encourager le consommateur à utiliser encore plus de bouteilles plastiques. L’exemple de l’Allemagne est à ce titre éloquent : en une vingtaine d’années de mise en place de la consigne sur le plastique, la part des bouteilles a pratiquement doublée parmi tous les emballages.
Ainsi, la fausse consigne entraverait l’objectif prioritaire de réduction des quantités de bouteilles plastiques qui repose sur une véritable stratégie de prévention.
L’usager / consommateur va subir une double peine.
Une peine financière d’abord, car les metteurs en Marché vont augmenter le prix des flacons pour financer les automates de récupération : 10, 15, 20 centimes ? Il faudra donc que les usagers rapportent leurs bouteilles pour récupérer leurs centimes. Le feront-ils tous ? Il est à craindre que non, l’entreprise elle fera dans tous les cas son bénéfice.
Une peine de rupture d’égalité d’accès au service du tri : on peut imaginer que les entreprises installeront prioritairement des automates là où la rentabilité est assurée : les zones rurales seront bien moins desservies que les centres urbains, obligeant les consommateurs à stoker leurs bouteilles et à faire des kilomètres en voiture pour les rapporter (avec à la clé une détérioration de leur bilan carbone). De même, la rentabilité va pousser le dispositif à s’implanter prioritairement autour des enseignes de la grande distribution, portant ainsi atteinte aux commerces de proximité des cœurs de villes, souvent fragiles : les commerçants n’auront pas les moyens de récupérer et stocker les bouteilles.
Cette fausse consigne créerait un double système de recyclage
À côté du service public de gestion des déchets qui les collecte et les recycle depuis plus de 30 ans interviendrait cette « consignation » pour les bouteilles en plastique. Celle-ci complexifierait le geste de tri des emballages alors que l’extension des consignes de tri a au contraire pour but de le simplifier.
Depuis des années, les collectivités ont investi dans des centres de tri modernes, répondant à des normes toujours plus exigeantes, pour récupérer les emballages des consommateurs, parmi lesquels les bouteilles plastiques. Enfin, la perte de recettes liée à la mise en œuvre de la fausse consigne pourrait se traduire par une augmentation de la fiscalité sur la collecte et le tri, une peine supplémentaire pour l’usager qui n’a rien demandé.
L’ensemble de ces arguments doit convaincre le gouvernement et les plus ardents promoteurs de la consigne que cette dernière n’est pas la solution pour améliorer les chiffres du recyclage en France. Pour autant, l’opposition manifestée par les groupements de collectivités locales, aussi argumentée soit-elle, ne doit pas s’autosatisfaire de la situation actuelle.
Bien sûr que les taux de collecte des emballages doivent être améliorés et que les objectifs fixés par la loi doivent être atteints. C’est non seulement notre responsabilité collective, mais c’est aussi le travail inlassable d’information et de pédagogie que nous menons au quotidien auprès de nos concitoyens dans nos syndicats de déchets. Il faut donc que tous les professionnels du secteur se mettent autour de la table en cessant de se focaliser sur cette fausse bonne idée qu’est la vraie fausse consigne pour étudier les solutions à mettre en œuvre afin d’améliorer nos performances.
Quant au gouvernement, il devrait plutôt défendre le modèle français du recyclage et en être fier plutôt que d’être le complice du début de son démantèlement. Il y a bien d’autres priorités à traiter en matière de déchets.