TRIBUNE de Jean-Christophe Lagarde – « J’aurais aimé pouvoir voter le budget de l’Etat présenté par le nouvel exécutif. Et, parmi les centristes et la droite progressiste, nous sommes nombreux dans ce cas. »

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Ce budget est d’abord le plus honnête depuis 15 ans. En cela, il tranche notamment par rapport au dernier budget de M. Hollande dont la Cour des Comptes avait souligné, après nous, l’insincérité et la manipulation. Il est aussi bien plus sérieux que ses prédécesseurs, car pour une fois, les économies annoncées ne sont pas fictives mais bien réelles, même si hélas elles se font plus souvent dans la poche des autres que de l’Etat lui-même. La dépense de l’Etat baisse vraiment en pourcentage du PIB et ne se contente plus d’augmenter moins vite qu’avant. Ce sérieux budgétaire, nous centristes, nous UDI, nous le demandons à corps et à cri depuis 15 ans au nom des générations que nous condamnons à payer nos dettes. Et ce sérieux est assumé, malgré l’irresponsabilité du précédent Chef de l’Etat qui a distribué les milliards payables en 2018 avant de quitter lui-même l’Elysée.
C’est aussi un budget qui affirme une vraie stratégie économique, ce qui là encore tranche avec le quinquennat Hollande. Je partage cette stratégie qui consiste à tout miser sur les entreprises pour qu’elles créent des emplois en baissant leurs charges, en simplifiant et contractualisant le droit du travail, en orientant l’épargne vers l’investissement productif. A l’UDI, nous le disons depuis longtemps : pour faire reculer le chômage, il n’y a pas d’autre voie que de mettre le paquet pour permettre aux entreprises de gagner des marchés et donc créer des emplois au profit de ceux qui en demandent.
Ce budget traduit des orientations intéressantes en matière de rétablissement de l’ascenseur social que n’aurait jamais dû cesser d’être l’Ecole de la République. Il affirme faire enfin de l’apprentissage une priorité, ce que là encore nous réclamons depuis 15 ans, même si cela ne devrait pas se faire au détriment des emplois aidés. Il marque une volonté d’augmenter enfin les moyens consacrés à notre sécurité extérieure et intérieure, qu’il s’agisse des Armées ou des forces de Police et de Gendarmerie, bien que cet effort reste insuffisant dans les deux cas. Il poursuit la lente croissance des moyens consacrés à notre Justice sinistrée, mais à un rythme insuffisant pour rattraper 20 ans de retard au cours desquels nous avons mis deux fois moins d’argent dans la Justice que les pays comparables.
Enfin, sur le plan fiscal, la volonté d’afficher une trajectoire lisible, stable et donc prévisible, ce que nous demandons depuis des années, était indispensable et peut contribuer à faire revenir la confiance des entrepreneurs comme des consommateurs.
Pourquoi donc ne pas voter ce budget qui présente d’évidentes qualités que n’ont jamais eu ses prédécesseurs ?
Parce que « en même temps » ce budget est entaché d’erreurs, voire de fautes, qui auraient pu, qui auraient dû être corrigées.
Bien qu’issue de la campagne présidentielle, l’augmentation de la CSG est l’erreur la plus lourde. Car si nous partageons la nécessité de réduire le coût du travail pour regagner en compétitivité, il ne suffit pas de la déplacer du patron vers le salarié. Il faudrait le transférer du travail vers la consommation. A ce titre l’augmentation de la CSG est une occasion manquée. Car M. MACRON poursuit et amplifie notre erreur nationale de faire porter le poids de toute notre protection sociale uniquement sur ce qui est produit en France, par les français, dans une économie devenue mondiale. En clair, tout ce que nous produisons finance nos médicaments, nos retraites, notre assurance chômage. Tout ce que nous achetons et qui est fabriqué à l’étranger est épargné du poids de nos charges sociales… Nos amis allemands l’ont bien compris et depuis 20 ans, en instaurant 3 points de TVA compétitivité, ils nous font payer à nous une partie de la sécurité sociale allemande. Il fallait avoir le courage, comme SCHRÖDER, de créer cette TVA compétitivité à la française sur le taux supérieur de la TVA au lieu d’augmenter la CSG et de monter ensuite des usines à gaz pour essayer de compenser la perte du pouvoir d’achat des retraités, des fonctionnaires ou des indépendants. Ainsi, la protection sociale qui nous est chère ne pèserait plus uniquement sur nos épaules.
La suppression de la Taxe d’Habitation pour 80% des français, bien que progressive est évidemment populaire. Cela a fait recette dans débat électoral comme dans les urnes, comme toute mesure démagogique. Je dis démagogique car il n’y a aucune bonne raison de supprimer la Taxe d’Habitation sans toucher à la Taxe Foncière. Pour un logement, ces deux impôts locaux ont la même assiette, financent les mêmes collectivités locales, et sont payés par TOUS les français contrairement à une légende populaire très répandue. En effet, si la Taxe Foncière est payée au Trésor Public par le propriétaire, un locataire paye aussi la Taxe Foncière qui est comprise dans le loyer qu’il règle à son propriétaire, même lorsqu’il s’agit d’un bailleur social. Dans ma commune, par exemple, les locataires HLM payent à l’Office Public d’Habitat deux mois entiers de loyers qui ne servent qu’à payer la Taxe Foncière. Et cela qu’ils soient au RSA ou qu’ils gagnent 2500€ par mois… Car la principale différence entre la TH et la TF n’est pas ceux qu’elles frappent. La différence c’est que la Taxe d’Habitation tient partiellement compte des revenus ce qui n’est pas le cas de la Taxe Foncière. En clair, la Taxe d’Habitation est beaucoup plus juste que la Taxe Foncière qui est très inéquitable. Et c’est l’impôt le plus juste que la majorité décide de supprimer sans toucher au monstre d’iniquité qu’est la Taxe Foncière. Nous ne pouvons pas nous associer à cela !
Une vraie réforme efficace et équitable eut été de fusionner ces deux taxes locales (ce qui est source de simplification et d’économies) et de les moduler en fonction des ressources des familles. Combien de temps acceptera-t-on encore ce scandale qui veut qu’un retraité veuf, propriétaire de son logement, paye la même taxe foncière que celle qu’il payait quand il était en couple et que les deux travaillaient ? Ses revenus ont pu être divisés par trois son impôt ne bouge pas ! Et c’est à cet impôt là que M. MACRON refuse de toucher…
Résultat : L’injustice de la fiscalité locale n’en sera que plus grande. L’Etat trahira une fois de plus sa parole car il ne compensera la perte de recette que la première année et ne tiendra plus compte de l’inflation après. Et les communes seront sans doute contraintes d’augmenter l’impôt le plus injuste, la Taxe Foncière, le dernier qui leur restera, pour compenser la différence.
La baisse des APL telle que prévue actuellement n’est pas seulement une erreur mais une faute. Pour réaliser 1,7 milliards d’euros d’économies, le Gouvernement impose une baisse des APL. Et simultanément il oblige les bailleurs sociaux à baisser les loyers du même montant pour que le locataire n’ait pas à payer la différence. En fait, l’Etat fait 1,7 milliard d’euros d’économie dans la poche des bailleurs. Et contrairement à ce que prétend le Gouvernement, rien ne vient sérieusement compenser les pertes de recettes des organismes HLM, ni des surloyers inapplicables, ni la vente des logements à des locataires insolvables, ni de meilleures conditions d’emprunt de demain alors que le problème est de rembourser ceux d’hier avec des recettes que l’Etat raye de la carte. Il y aura deux conséquences. D’une part des bailleurs qui avaient des budgets équilibrés et entretenaient difficilement les logements vont plonger dans le déficit et le service aux locataires devenu impossible (réparations, travaux, etc…) va se dégrader complètement. D’autre part, l’obligation de renoncer aux travaux prévus, voire au Nouveau Plan National de Rénovation Urbaine, va faire perdre des milliards d’activité aux entreprises du BTP, un des rares secteurs non délocalisable. On peut comprendre que l’Etat cherche la dizaine de milliards qui sommeille dans les comptes de quelques sociétés HLM, en particulier celles qui ne logent pas les populations vraiment en difficulté. Mais ce n’est pas la bonne méthode car en procédant ainsi, la baisse des APL, ce sont des logements qui se dégradent pour les locataires les plus fragiles et de la croissance en moins pour la France. A minima, pour éviter le précipice, le Gouvernement devrait allonger la durée des emprunts en cours d’autant de temps que nécessaire pour compenser ce hold-up, ne pas traiter de la même façon les organismes HLM selon qu’ils sont publics ou privés, et engager simultanément une révolution des aides à la pierre et de celles à la personne.
La majorité se trompe en remplaçant l’ISF par l’IFI. Tous les pays qui ont créé un ISF l’ont supprimé ensuite. Aucun ne l’a remplacé par un autre impôt et ce n’est pas un hasard. L’ISF est un impôt inéquitable et inefficace. Inéquitable car les vrais riches ne le payent pas ou très peu. Inefficace parce qu’il contribue à faire fuir à l’étranger des contribuables dont nous devons payer ensuite tous les impôts qu’ils ne payent plus. Il faut donc le supprimer purement et simplement. En le remplaçant par un Impôts sur la Fortune Immobilière le Gouvernement fait d’abord courir un risque supplémentaire au secteur du bâtiment qui est déjà écarté de la Flat Tax, qui subit la hausse de la CSG contrairement aux actions, qui va voir baisser l’activité issue des bailleurs sociaux, et qui est seul visé par l’IFI. Ensuite, il crée des niches de richesses improductives pour l’emploi, comme le montre le récent débat sur les lingots et les yachts, sans garantir que l’argent épargné se dirigera vers les entreprises, l’innovation, la création d’emploi. Il nourrit donc un soupçon de favoritisme. Enfin, l’IFI est constitutionnellement discutable tant il est source d’inégalité devant l’impôt.
Plutôt que cette erreur, il aurait été légitime de créer un Investissement Productif Obligatoire pour les personnes les plus aisées de notre pays. Plutôt qu’un impôt, il serait très légitime que les plus fortunés aient l’obligation d’investir chaque année une partie de leur fortune dans des fonds finançant les PME françaises afin de contribuer à la croissance et à l’emploi.
Nous nous abstenons donc majoritairement sur ce budget qui présentait pourtant des qualités inédites. Car ces 4 erreurs principales auraient pu être évitées si la majorité savait écouter autre chose qu’elle-même, comme elle le prétendait avant les élections. En cela, cette majorité du « nouveau monde » ressemble déjà cruellement à celles de « l’ancien monde ». Celles qui ont toutes échoué en croyant toujours avoir raison seules. Car, pour un pouvoir, penser avoir toujours raison est bien le début de la déraison.