Tribune de Laurent Lafon, Sénateur du Val-de-Marne

dans Les Échos

Paris, le 20 avril 2018

Depuis plusieurs semaines, des centaines d’étudiants ont pris le parti d’apporter leur concours aux grèves et blocages universitaires. Plutôt que de militer pour l’abrogation de la loi ORE et la restauration de la sélection par tirage au sort, il y a bien d’autres chantiers décisifs pour l’avenir du modèle universitaire qui justifieraient de mobiliser l’énergie des étudiants…

Depuis plusieurs semaines, quelques centaines d’étudiants ont pris le parti d’apporter leurs concours aux grèves et blocages qui ont essaimé à Tolbiac, Nanterre, Toulouse, Lille ou Rennes.
À mesure que la mobilisation des étudiants progresse, fut elle minoritaire, l’incompréhension de l’opinion publique croit : le décalage de leurs revendications nuit évidemment à l’attractivité et la réputation du modèle universitaire français.
En manifestant pour le retrait de la loi Orientation et réussite des étudiants dite ORE, qui fixe le cadre d’entrée des futurs bacheliers dans l’enseignement supérieur, ils expriment une vigilance pour les générations futures qui doit être entendue sans cynisme ni condescendance. Soyons clairs : il y a de très bonnes raisons d’être inquiet pour les futurs étudiants, mais elles sont très éloignées des ressorts de la mobilisation.
Pour les bloqueurs, l’abrogation de la loi Orientation et réussite des étudiants est la mère des batailles. C’est d’autant plus surprenant que pour avoir largement étudié et amendé ce texte au Parlement, je n’y ai pas vu l’arsenal législatif révoltant qui justifierait une telle levée de barricades digne de la révolution de 1830. Il n’y a pas l’ombre des ordonnances de Saint-Cloud derrière le logiciel « Parcoursup », et derrière la démarche conciliatrice de Madame Frédérique Vidal, je n’ai pas vu la silhouette de Jules de Polignac.

Allons au fond des choses : quel est le dispositif contenu dans la loi ORE qui justifierait une telle agitation ? Contrairement à une idée répandue, le gouvernement n’a pas instauré la sélection à l’université. La sélection existait déjà depuis des années : elle prenait la forme du tirage au sort, la forme de sélection la plus injuste et inéquitable qui soit. La loi « ORE » a simplement modifié les modalités selon lesquelles s’opérait la sélection dans les filières dites en tension : lorsque le nombre d’inscriptions dépasse le nombre de places ouvertes, la sélection par tirage au sort a laissé place à une sélection selon les capacités et le parcours scolaire des étudiants.
Plutôt que de militer pour l’abrogation de la loi ORE et la restauration de la sélection arbitraire, il y a bien d’autres chantiers décisifs pour l’avenir du modèle universitaire qui justifieraient de mobiliser l’énergie des étudiants.

Le premier chantier est celui de la lutte contre l’échec persistant à l’université.

Se battre pour l’accès universel et inconditionnel de toutes et tous à l’université n’a pas de sens tant qu’il conduit une part importante des 2,6 millions d’étudiants à des situations d’échec. Combien d’étudiants échouent par méconnaissance des filières, des opportunités et des débouchés ?
La loi ORE n’est pas la grande réforme de l’orientation dont nous avons besoin : il est indispensable de mettre sur pied un système d’orientation commençant à la fin de la troisième.
Pour lutter contre ce véritable gâchis de capital humain, le groupe Union Centriste au Sénat avait proposé d’instaurer dans chaque filière une année propédeutique pour les étudiants qui ont besoin d’une mise à niveau avant d’enclencher un cycle universitaire.
Pour lutter contre l’échec, il est aussi nécessaire de repenser l’architecture universitaire de telle sorte à accorder un authentique droit à l’erreur pour permettre aux étudiants de changer plus facilement d’orientation au cours du premier cycle d’enseignement supérieur.

Le deuxième chantier porte sur les débouchés professionnels qu’offre le monde universitaire.

Un système universitaire ne peut rester durablement déconnecté des attentes du monde professionnel et des métiers et qualifications dont la société aura besoin dans l’avenir.
Or, aujourd’hui, la carte des formations de l’enseignement supérieur prend insuffisamment en compte l’évolution des débouchés professionnels et la structure du marché de l’emploi : d’aucuns osent même affirmer que ça ne correspond ni au rôle ni à la vocation de l’université !
Un amendement avait été déposé au Sénat pour lier l’augmentation du nombre de places ouvertes dans chaque filière à l’évolution des débouchés professionnels observés. Une réflexion plus large sur la carte des formations proposées à l’université et le nombre de places dans chaque filière en fonction des opportunités qu’elles offrent à leurs étudiants doit être la suite logique de la loi ORE afin de rendre les formations universitaires plus réactives au marché.

Le troisième chantier est celui des bacheliers professionnels.

94 % d’entre eux sortent de l’université sans licence. Faute de places suffisantes en IUT et BTS, ces bacheliers sont contraints de s’inscrire en licence généraliste à l’université, qui ne répond pas à leurs attentes.
Ce taux d’échec me paraît mériter une attention et une indignation bien plus vigoureuse que celle portant sur la loi ORE. Il implique de remettre en cause la massification universitaire aux effets désastreux en lieu et place du développement du nombre de places dans les filières supérieures courtes.
La loi ORE est une première étape qui a le mérite de débloquer une situation qui n’était plus tenable, celle du tirage au sort. L’étape suivante doit être celle d’une authentique réforme de l’orientation et de la réussite des étudiants.
Osons espérer que les bloqueurs entendent ce message : à défaut, l’université se condamne à jouer le mauvais rôle dans un enseignement supérieur à deux vitesses, où les grands établissements et les écoles privées répondront aux attentes légitimes des futurs bacheliers.
Les parodies de foyers insurrectionnels contre la loi ORE paraissent bien dérisoires au regard des enjeux à venir…

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